Le virage idéologique de la SCHL
Ce texte est le premier d'une série de trois sur la situation du logement
Avec l’intention du gouvernement de Mark Carney de retirer le mandat de création de logements à la SCHL pour le confier à une nouvelle entité appelée Maisons Canada (quel drôle de nom?!), on pourrait croire que l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre a perdu confiance en la vénérable société de la couronne. Et il aurait totalement raison. Non seulement celle-ci peine à fournir les ressources financières adéquates au logement abordable ou hors marché, mais elle s’active depuis quelques années à mener une guerre idéologique sans aucun sens face à la réalité des besoins en logements au pays.
Les prévisions de la SCHL pour le Québec sont tout simplement démesurées. Non seulement elles sont irréalistes, mais elles contredisent directement celles de l’Institut de la statistique du Québec, et pas juste un peu !
Entendons-nous bien : il faut construire plus de logements. Personne ne remet cela en question. Mais lorsque les décideurs publics, les prêteurs et les investisseurs basent leurs choix sur des données erronées, il ne faut pas se surprendre que les résultats des efforts pour augmenter la construction soient inadéquats. Voyons voir.
Des chiffres démesurés
Depuis 2022, la SCHL martèle que, pour contrer la pénurie de logements d’ici 2030, il faudrait construire entre 3,5 et 4 millions de logements au pays (SCHL, 2023), dont entre 770 000 et 1 000 000 au Québec, alors que le rythme actuel de mises en chantier est de 50 000 par année. Si ce chiffre est exact, il est logique de tout mettre en œuvre pour l’atteindre. Une mobilisation d’une telle ampleur demanderait de tourner les coins ronds, mais aux grands maux les grands moyens. Vaut mieux un logement mal construit, sans transport adéquat, détruisant un milieu humide… que rien du tout. Et je ne suis même pas ironique en l’affirmant. Donnons les clés de la ville aux promoteurs, ça presse ! (bon, là je suis un peu ironique).
Québec contredit Ottawa…
Le problème, c’est que l’Institut de la statistique du Québec (ISQ, 2025, p. 7) indique que, selon ses projections démographiques, le besoin en logements au Québec n’augmentera que de 0,8 % d’ici 2030, et que celui de la région de Montréal baissera même de 7 % durant la même période ! Comme on ne se mettra pas à démolir d’hypothétiques logements vides à Montréal, la croissance nécessaire du parc de logements serait d’environ 110 000 nouvelles unités en cinq ans. Presque dix fois moins que les prévisions de la SCHL. L’ISQ a modifié ses projections à la baisse en tenant compte d’un flux d’immigration plus limité, mais elles contredisaient déjà largement les données de la SCHL avant cette révision récente.
… et la SCHL se contredit elle-même
Évidemment, l’ISQ ne tient pas compte du « déficit chronique » de logements accumulé ces dernières années. Cette lacune devrait normalement être corrigée par l’évolution du taux d’inoccupation des logements, non ?
La SCHL affirme depuis toujours que le taux d’équilibre du marché se situe à 3 % d’inoccupation. Avec son évaluation aussi élevée des besoins, on pourrait s’attendre à un taux famélique pour encore longtemps. Coup de théâtre ! Elle vient justement de publier ses prévisions pour les prochaines années (SCHL, 2025). Devinez quel sera le taux d’inoccupation dans la RMR de Montréal en 2027 ? 3 % ! On peut être d’accord avec Vivre en ville, qui soutient qu’un taux d’inoccupation plus élevé est souhaitable (Vivre en ville, 2025), mais il faut constater que la SCHL se contredit elle-même.
Qui croire ?
Entre une SCHL sur les stéroïdes et un ISQ un peu pessimiste, qui croire ? Dans ce contexte, je souligne le travail particulièrement réfléchi des analystes des services d’urbanisme et d’habitation à Montréal. Le récent plan d’urbanisme (Montréal, 2025, p. 140) s’appuie à la fois sur des projections démographiques, le déficit de logements non construits accumulé, des observations empiriques et des objectifs de développement ambitieux.
La Ville de Montréal prévoit un besoin de 200 000 nouveaux logements (+20 %) d’ici 2050, à un rythme de 8 300 unités par année (la moyenne de construction 2004-2021 est de 7 941). Pour contribuer à renverser l’étalement urbain, il serait souhaitable (et possible) de viser un rythme de 10 000 à 12 000 mises en chantier annuelles.
C’est exactement le rythme atteint durant les premières années du mandat de Projet Montréal (2018-2021), avant l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Et rappelons, pour ceux qui trouveraient encore cet objectif trop faible, que l’ISQ prévoit pour Montréal une diminution nette du besoin de 70 000 logements d’ici 2030 !
Quand les chiffres deviennent une idéologie
Fixer des objectifs ambitieux de construction à Montréal est une bonne chose, car une partie de la dynamique démographique peut être inversée par une abondance de logements. Mais citer les chiffres de la SCHL relève de la manipulation idéologique, sans fondement dans la réalité ni dans une théorie économique solide.
Quand l’organisme fédéral en charge du logement au Canada s’appuie sur des projections aussi fragiles et partisanes, l’État, les médias et la population ont raison de s’inquiéter. Particulièrement en ces temps où les institutions et la vérité sont attaquées, dénigrées et fragilisées.