Foglia était (aussi) un vieux con

Foglia était (aussi) un vieux con
Capture d'écran, LaPresse.ca, 10 août 2025.

Je soupçonne Pierre Foglia d'être la principale raison pour laquelle mon père a accepté de suivre ma mère à Dunham pour y vivre leur retraite.

«As-tu lu Foglia?» Comme la madeleine de Proust, cette petite question revenue comme une brique m'a plongée dans des souvenirs qui m'ont donné le goût d'écrire un peu. Promis, ce sera moins long qu'À la recherche... Mais moins bon aussi.

Comme bien des séparatistes gauchistes abonnés à La Presse, Foglia était notre caution morale, à mon père et moi. Comme gars de shop particulièrement érudit, mon paternel partageait bon nombre des valeurs et des montées de lait du chroniqueur. C'est là-dedans que j'ai été élevé.

25 ans plus tard, j'ai presque envie de dire qu'il y avait à l'époque une solidarité spirituelle entre nous trois (le père, le fils et le saint esprit, elle est bonne hein?). On ne pouvait pas se permettre de rompre le rang, sinon les barons de la grosse Presse allaient gagner. Bref, on était d'accord avec Foglia, même quand on le trouvait cave.

Parce que Foglia était souvent con. Ça change rien à son héritage. En fait ça en fait partie. L'hagiographie déployée depuis 10 jours par tous ce qui écrit au Québec depuis 40 ans (et qui n'est pas payé par Quebecor) est à la fois éloquente et plus que méritée.

Mais je suis surpris (ou pas?) par l'absence de références à ses coups de gueule, à ses méchancetés, à ses erreurs de jugement. Ça fait aussi partie du personnage, et l'occulter c'est un peu réécrire l'histoire. Le monument a des petites taches. C'est pas moins un monument pour autant. Juste plus humain, plus... compréhensible.

Parlant de monument à petites taches, il n'y aurait pas de meilleur moment pour (re)lire Foglia, l'insolent, de Marc-François Bernier (Édito, 2015) qui, soit dit en passant, est un bouquin vachement bien écrit, plein d'esprit. Bernier ne cache rien, montre l'homme dans ses contradictions, dans ses convictions. Avec autant de franchise que de bienveillance. Les extraits de chroniques sont tirées de son ouvrage.

Grand pourfendeur de la délation, les chroniques écorchant le mouvement #AgressionsNonDénoncées seront particulièrement mal reçues. «Précisément ce genre de déballage qui me tue. Exactement ce genre de confusion entre dénonciation (d'une situation) et délation (la dénonciation d'une personne)» (2014). Et en 1992, il aborde la justice « étroite, animée d'un esprit de vengeance qui en oublie même la recherche de la vérité. C'est le tabou le plus soviétique du discours sur le viol : l'interdiction de douter. On n'a plus le droit de douter d'une femme qui dit s'être fait violer. Impossible. Interdit...» À cet extrait, Bernier commente à juste titre «qu'on imagine facilement le tsunami de commentaires et d'attaques qu'un tel discours lui vaudrait en 2015, sans compter qu'il serait sans doute ovationné par une foule d'idiots» (Bernier, 2015). Con, je vous dis!

Dans le registre des attaques personnelles, certaines sont plus odieuses, d'autres délicieuses. Michèle Richard, Céline Dion, Denise Bombardier... Il n'y a vraiment que la famille Desmarais qui semblait intouchable. Même Sainte-Janette Bertrand, qui «porte à son point d'achèvement sa philosophie électroménagère? (Ou de La philosophie dans le boudoir à la philosophie dans la bouilloire)...» (1989). « Le Québec s'apprête à empailler Mme Bertrand comme Anthony Perkins a empaillé sa mère dans Psycho» (2005). Bon, ce n'est peut-être pas moi qui vais le trouver con ici, mais ce genre de tirade risque de laisser quelques vieux nationalistes en dissonance cognitive.

Son opinion d'Yves Michaud, «un être tout à fait déplorable, rien que de l'entendre parler de vin me donne envie de boire du lait, rien que de le voir à la télé me fait penser que j'ai oublié de porter mes vidanges au chemin» (2000), est à la hauteur du personnage. Mais comme j'apprécie Michaud depuis qu'il a su traiter un ancien ministre péquiste (l'ayant bien cherché) d'olibrius quémandeur de maroquin aux loyautés successives, au compte des insultes colorées : Michaud 1, Foglia 0.

Enfin, pour ma génération, le coup de grâce sera sûrement son «mon cul les Cowboys [fringants]» (2005). End of the story.

Mais non, pas tout à fait. Il reste l'éléphant dans la pièce. Fallait bien parler de vélo. Et de Geneviève Jeanson : la fierté de Lachine, mon village natal. Avoir promu, cru, défendu Jeanson et son entraîneur pendant tant d'années, malgré les signes, les rumeurs, les preuves de dopage, est probablement la plus grande connerie de Pierre Foglia. Il ne s'en est jamais vraiment expliqué. Sa chronique de contrition décrit comment ça s'est passé plus qu'elle n'explique pourquoi il a été aussi con. «LA FOIS QUE J’AI ÉTÉ TELLEMENT, MAIS TELLEMENT CON ! – Jean Lessard, ex-coureur, était l’organisateur d’une course à laquelle Jeanson avait refusé de participer. Il en était très fâché et m’avait lâché au téléphone : de toute façon, ta petite crisse de Jeanson, elle n’en a plus pour longtemps, elle a la GRC au cul. C’était en août 2002...» (2007).

Il ne s'est jamais non plus excusé (publiquement, en tout cas) à Lyne Bessette (une fille de Knowlton, décidément) pour l'avoir décriée, rapetissée. Faire du Foglia, je dirais "c'est là que je t'ai trouvé le plus con, bro" (ouais c'est comme ça qu'on dit "mon vieux" en 2025).

Un monument, avec des petites taches. Il serait plus beau sans, mais elles en font partie. Sans elles, il n'y aurait peut-être même pas de monument. On n'est pas obligé de voir les défauts en premier, de les mentionner à chaque fois qu'on montre le monument à la visite. Mais il faudrait pas les oublier. Ce serait oublier une partie de Foglia. Et une partie de notre petite humanité québécoise en même temps.

Entre séparatistes lecteurs de La Presse, de père en fils, de Lachine aux Cantons de l'Est. Solidaires, même quand on se trouve caves. Hein, P'a? As-tu lu Foglia?

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